Philippe Hamelin In Vivo

ENTRETIEN AVEC...PHILIPPE HAMELIN - GROUPE IN VIVO

Philippe Hamelin – Ingénieur ENSA Montpellier – est entré dans le Groupe In Vivo en 1985.  Passé par l’ensemble des postes de la filière semences, il est aujourd’hui Directeur de la filiale Bioline Solutions. Témoignage d’un acteur coopératif sur l’actualité du monde agricole et ses projections. 

 

AIISA - Comment voyez-vous l’évolution du monde agricole ? 

PH - Ce qui me parait fondamental dans les décennies à venir, c’est la transition qui va être insufflée par la lutte contre le réchauffement climatique. En effet l’agriculture représente 19% des émissions de GES, dont 45% pour le méthane, et 42% pour l’azote sous 2 formes, la fabrication d’azote et le protoxyde d’azote.

Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, la France a fixé au travers de la stratégie nationale bas carbone des objectifs par secteur d’activité. Pour l’agriculture, l’objectif consiste en une baisse de ses émissions de 20% en 2030, de 46% en 2050. Pour y parvenir l’agriculture a 2 moyens : baisser ses émissions et fixer du carbone dans le sol.

 

AIISA : Comment atteindre cet objectif ? 

PH : Il va nous falloir développer une agronomie de précision en s’appuyant sur des outils satellitaires, de l’intelligence artificielle, des outils d’aide à la décision. Ce ne sont pas les geeks qui seront capables de le faire, mais des agronomes qui devront également inventer un nouveau métier plus basé sur les bio-solutions, la santé de la terre, la vie et la biodiversité dans la terre, redécouvrir des mécanismes pour fixer l’azote…

Nous avons un gros effort à faire sur la connaissance de la santé des sols. C’est une science compliquée combinant de la physique, de la chimie et de la biologie. Les sols français ont globalement perdu de la matière organique, d’où une capacité moindre de fixer l’azote par les bactéries.

En un mot, nous avons encore beaucoup à apprendre…

 

AIISA : Une révolution qui se profile ? 

PH : Non pas une révolution, mais une évolution qui a déjà commencé depuis longtemps et qui va s’accélérer.

La place des intrants chimiques est amenée à se réduire en raison d’une pression constante de la réglementation européenne pour diminuer le nombre de molécules autorisées et réduire les doses. Une substitution va s’opérer par des produits d’origine végétale.

 

AIISA : Cela pourrait-il aller jusqu’à l’arrêt des intrants chimiques ?

PH : Je ne pense pas que ce soit souhaitable car nous avons besoin des intrants pour assurer un haut niveau de production. En revanche nous devrons être plus efficients dans la consommation de ces intrants. Pour être schématique, je dirais que d’ici 2030, 50€ à l’hectare d’intrants sont à remplacer par 50€ à l’hectare de matière grise d’ingénieurs.

L’agriculture de précision est déjà un allié de poids et sera amenée à prendre une place croissante : avec des cartes de surface intra parcellaires, nous ajusterons les quantités d’intrants, ce qui permettra de traiter avec des doses 30% moins importantes.

 

 

 

 

AIISA : Vous souhaitiez parler de la biodiversité ?

PH : Oui, les remembrements et les suppressions de prairie sont le premier facteur de disparition de la biodiversité dans les champs : la mécanisation a engendré de grandes parcelles avec la suppression de haies, ce qui fait que les espèces animales ont moins de refuges. Les herbicides ont également induit un manque de diversité d’alimentation des insectes. Demain il nous faudra très certainement des zones refuges sans handicaper de façon trop importante la production.

 

AIISA : La biomasse serait-elle amenée à se réduire ? 

PH : Ce n’est pas souhaitable, car le végétal est une merveilleuse machine à fixer le carbone de l’air. Nous devons donc avoir un objectif de produire plus de biomasse avec une efficience augmentée des intrants. Ensuite se posera la question de l’utilisation de cette biomasse pour l’alimentation humaine en France, en Europe, à l’international, pour l’alimentation des animaux, pour l’énergie ou la fixation du carbone dans les sols. Il est vraisemblable que les modes de consommation alimentaire vont évoluer et qu’il sera donc possible de fixer plus de biomasse dans la terre et/ ou d’en transformer plus en biogaz.

 

AIISA : Pouvez-vous préciser l’impact de l’évolution des modes de consommation alimentaire sur la disponibilité de la biomasse?

PH : Nous assistons à une baisse tendancielle de la consommation de viande en France, de l’ordre de 1 à 2% par an – ce qui sur 10 ans amène une réduction de l’ordre de 10 à 20%.  

Or 50% de nos surfaces sont consacrées à l’alimentation du bétail. Ces surfaces peuvent être substituées pour diverses utilisations, de la production d’énergie à  la fixation de carbone. 

 

AIISA : Cette vision est-elle partagée au niveau français et européen ?

PH : A l’origine, le ‘Farm to Fork’ européen était un modèle proche de la décroissance : l’export était secondaire, l’objectif était de réduire la consommation – et de fait la production.

Le Covid, puis la guerre en Ukraine ont fait resurgir le problème stratégique de l’alimentation et des prix : les Français ont pris conscience de l’utilité de l’agriculture pour leur sécurité alimentaire.

Ainsi, à l’instar des positions françaises qui ont récemment évolué sur la question du nucléaire, on peut penser que la position sur l’agriculture est en train de bouger.

 

AIISA : Où attendez-vous les ingénieurs agronomes?

PH : Les ingénieurs agronomes sont des professionnels souples et agiles qui ont des phénomènes complexes à gérer. Le doute climatique est présent et nous devons toujours rester humbles car nous pouvons avoir de la sécheresse, du gel, dont nous ne maîtrisons ni la période de survenance ni la durée, ni l’intensité… C’est dans ce contexte qu’il est très intéressant de travailler avec les ingénieurs agronomes, car ce sont des personnes qui de manière générale vont au fond des problématiques. 

 

AIISA : Quels conseils donneriez-vous à un jeune ingénieur tout juste diplômé ?

PH : L’agriculture, l’agronomie, c’est passionnant ! ll est nécessaire de garder cette passion et de la cultiver. 

Dans les métiers liés à la lutte contre le changement climatique, si l’ingénieur veut se donner une mission ou une vision de sa carrière, savoir ‘à quoi je sers’, il trouvera des réponses sans nul doute. 

 

 

Propos recueillis par Emmanuel Banon (Promo 2002, ISA 35)

 

Avril 2023