Christian Rémésy
ENTRETIEN AVEC... CHRISTIAN REMESY
Riche actualité pour Christian Rémesy ! Après avoir soutenu le décret ‘pain et baguette tradition’ au début des années 90, puis avoir été l’initiateur dans les années 2000 du slogan ‘mangez 5 fruits et légumes par jour’, il se lance cette année dans la défense d’un projet de décret « pain nutrition ». Transition toute trouvée avec la sortie de son nouvel ouvrage ‘Sauvons l’alimentation’ aux Editions Thierry Souccar, pour laquelle l’AIISA a rencontré l’ancien directeur de recherche en nutrition humaine de l’INRAE.
AIISA - Il est noté en quatrième de couverture que vous êtes à l’origine du fameux « Mangez 5 fruits et légumes par jour » du PNNS (Programme National Nutrition Santé); dans votre ouvrage vous le faites évoluer vers « Mangez une dizaine de produits végétaux par jour, de toutes origines et sans transformateur inutile » : comment en êtes-vous arrivés à réviser votre approche ?
CR - Lors du lancement du PNNS, nous n’avions pas pris conscience à quel point les produits transformés sont un biais dans l’alimentation humaine : l’excès de consommation de produits ultra-transformés (pain de mie, pain blanc, …) a des retombées sur la santé publique (pandémie de l’obésité, diabète, malnutrition insidieuse).
L’idée de l’évolution du ‘slogan’ consiste à opposer les vrais aliments, peu transformés aux aliments ultra-transformés. Certes nous ne supprimerons pas tous les produits ultra-transformés mais il s’agit de définir un repère pour les consommateurs.
AIISA : que pensez-vous du Nutriscore ?
CR : Le Nutriscore a contribué à l’amélioration ‘nutritionnelle’ de bon nombre de produits. Il porte l’attention sur les produits transformés en engageant une image de sérieux, d’attention nutritionnelle. Mais lorsqu’on se penche sur ces évolutions de notations, on se rend compte du bricolage de la composition des ingrédients pour passer à une meilleure cotation.
Ce faisant les produits bruts ne bénéficient pas de Nutriscore et sont passés sous silence.
Comme expliqué plus haut, nous avons compris à présent que nous devons revoir notre approche : les produits vrac devraient bénéficier d’un Nutriscore.
AIISA : Vous évoquez une agriculture loin de sa mission originale…avec des développements inattendus!
CR : Oui, l’agriculture s’est éloignée de sa mission écologique et nourricière pour devenir un pourvoyeur de l’agroalimentaire ; ce glissement a commencé vers les années 70. Nous avons alors tous cru que l’industrie agroalimentaire allait rendre service, considérée comme le pétrole vert de la France et l’INRAE a suivi le mouvement.
Force est de constater après 50 ans les travers de cette approche : l’industrie a totalement pris la main sur l’alimentation, ce qui déforme les habitudes et les choix alimentaires avec des incidences écologiques et sociales.
Les raisonnements ont progressivement évolué : pour les médecins consultés, il n’existait pas de mauvais aliments mais des mauvais choix : la faute était portée sur le consommateur.
Ensuite les nutritionnistes sont arrivés avec des grilles de calcul réduisant les aliments à des pouvoirs caloriques. Ainsi pour perdre du poids il était nécessaire de réduire l’apport lipidique...
Cette logique économique était incroyable : les déshérences provenant de l’industrie agroalimentaire récente étaient cautionnées par la médecine et soi-disant résolues par les nutritionnistes…toute cette chaine paraissant plus sérieuse que le simple fait d’aller chez le primeur pour rééquilibrer ses apports alimentaires.
AIISA : "Que ton alimentation soit ta meilleure médecine" : vous semblez convaincu du rôle du microbiote dans la santé du consommateur!
CR : On sous-estime l’influence de l’alimentation sur notre santé : l’appauvrissement du microbiote par une surconsommation de produits ultratransformés amène à terme des problèmes de santé. Le Microbiote, il fait partie de nous-même, il a besoin d’être choyé, et nous avons besoin de l’entretenir pour une symbiose réussie ! l’hôte est au moins aussi gagnant que le microbiote.
AIISA : Les protéines végétales sont mises en avant par les autorités en substitution des protéines animales : que pensez-vous de cette approche ?
CR : Ce raisonnement élude le rôle de la matrice. L’intestin n’est pas fait pour être vide – il est nécessaire en premier lieu qu’il reçoive beaucoup de matrices végétales, pour assurer la satiété, l’entretien du microbiote, l’élimination du cholestérol, l’absorption des minéraux.
Si l’on en vient à raisonner simplement ‘protéines végétales’, on repart dans des transformations alimentaires et on occulte la nécessité de substrat pour le microbiote.
J’insiste donc sur ces matrices végétales, dans lesquelles nous pouvons bien entendu trouver des protéines végétales, présentes à hauteur de 20% dans les lentilles ou les haricots par exemple. Le problème à l’heure actuelle, c’est de trouver les légumes secs bien tolérés par un maximum de personnes.
AIISA : Pouvez-vous préciser ce qu’est le concept de « nutriécologie » que vous présentez dans votre ouvrage ?
CR : L’agroécologie présente l’avantage de prendre – enfin – en compte la ‘santé du sol’; nous pourrions y ajouter une dimension nutritionnelle, à savoir que devons-nous produire pour mieux consommer.
C’est ainsi que je suis parvenu à la notion de nutriécologie, une commande à l’agriculture et à l’ensemble des acteurs de la chaine alimentaire d’une production adaptée aux besoins humains. C’est en définitive un contrat social : la chaine alimentaire est priée de s’adapter à l’humain, et vice-versa pour une chaine alimentaire durable et écologique.
AIISA : Un contrat social ?
CR : Oui, il faut en être conscient : nous avons besoin d’une dimension éthique pour maintenir un système alimentaire durable.
Le malaise alimentaire actuel provient à la fois de produits alimentaires mal transformés et d’un manque de rémunération pour les agriculteurs. Il ne s’agit pas d’éradiquer les produits transformés au bénéfice exclusif de produits bruts, mais de trouver un équilibre alimentaire et rémunérateur. Il est nécessaire de le comprendre et de l’expliquer pour le bon fonctionnement de la société, au risque de continuer à acheter des produits moins-disants.
AIISA : Le contrat social que vous évoquez risque de se heurter aux réalités financières…
CR : Je ne suis pas persuadé que cette évolution puisse représenter une telle incidence économique. En effet les produits transformés ne sont pas onéreux, mais il n’y a pas grand-chose dedans – hormis des ‘calories vides’.
Le contrat social induit d’acheter plus de fruits et légumes, de féculents et moins de produits animaux, afin de bien se porter et d’entretenir une chaine alimentaire qualité et écologique.
AIISA : Dernière question, George Monbiot dans son « Nourrir le monde sans dévorer la planète » évoque une nourriture issue de la synthèse bactérienne, capable selon lui de réduire de 98% les surfaces agricoles et d’offrir d’infinies possibilités de gout, texture, nutritionnel…Que pensez-vous de ce type de réflexion ?
CR : Quand je suis arrivé à l’INRA, un agronome voulait faire des steaks à base de pétrole… Depuis toujours certains veulent nous nourrir avec des insectes, de la synthèse bactérienne… : à mon sens on botte en touche, car ces expérimentations occultent le plaisir du repas, de la table, l’importance de nos campagnes et de l’environnement. Nous avons besoin d’une approche systémique de l’alimentation et de l’agriculture, et non parcellaire.
Septembre 2024 - propos recueillis par Emmanuel Banon